Qualités et compétences essentielles pour les postes de haute direction
Première édition
Cet article vise à faire état des facteurs de succès pour les dirigeants et dirigeantes d’organismes francophones en contexte linguistique minoritaire. Il s’adresse en priorité aux gestionnaires, membres de conseils d’administration, comités d’embauches, employés, employées et bénévoles de ces organismes.
Ce texte est le produit d’une vaste enquête amorcée en 2021 au sujet des compétences de leadership requises afin de mener à bien la mission des organisations dans un contexte francophone minoritaire. Nous avons voulu approfondir la question afin d’éclairer la prise de décision et d’optimiser les stratégies de sélection pour les postes de haute direction d’organisations francophones en contexte minoritaires. Dans un monde du travail en constante évolution, cet article se veut également un outil vivant d’échange et de réflexion, qui pourra également évoluer vers une seconde édition au cours des prochaines années.
Par Marie-Hélène Gaudreault, M.A., Associée,
Experte de la pratique à impact social, Canada
Dix qualités et compétences de leadership essentielles
À la lueur de ces défis et réalités, quelles sont les compétences requises pour réussir dans un rôle de leadership en contexte francophone minoritaire? Peu importe le contexte politique, le lieu géographique, la démographie, notre sondage a révélé de nombreuses similitudes entre les dirigeants et dirigeantes francophones en contexte linguistique minoritaire, tous secteurs confondus. Voici les dix (10) compétences de leadership les plus souvent citées afin de mener à bien la mission d’un organisme dans un tel contexte.
« La collaboration, on est un partenaire dans la communauté. Il faut travailler ensemble et réunir ses efforts. On ne peut pas être compétitifs les uns envers les autres. »
1. Collaboration et bienveillance
Face aux enjeux de financement et de pénurie de main-d’œuvre, le succès des organismes francophones en contexte minoritaires repose pour beaucoup sur la capacité à travailler avec d’autres organismes francophones, sur l’entraide plutôt que la concurrence, sur la collaboration et la concertation. Le succès des organisations francophones passe par cette collaboration mais aussi, concrètement, par l’échange de services et le partage de ressources. « L’union fait la force » : cette devise exprime bien comment, en contexte minoritaire, les partenariats pour un objectif commun permettent d’augmenter la capacité de faire, mais aussi la force de frappe.
Dans les entrevues, certains individus ont mis l’accent sur l’importance de créer des alliances non pas uniquement entre organisations qui militent pour les mêmes droits, mais aussi avec des partenaires qui peuvent se situer en-dehors du secteur d’activité de l’organisme. Ces alliances, par exemple avec les peuples autochtones, peuvent être fondées sur les concepts d’équité. Ainsi, les francophones pourraient se trouver, par exemple, à militer pour qu’un service de traduction dans un hôpital au Nunavut soit offert autant en inuktitut qu’en français.
En même temps, la collaboration dans un contexte de rareté des ressources requiert beaucoup de bienveillance. La recherche de financement donne facilement lieu à de la compétition et il faut dépasser cette logique pour, comme l’exprime un participant, « prendre soin les uns des autres, s’appuyer les uns les autres et grandir ensemble ». À ce chapitre, la collaboration signifie un travail en complémentarité qui fait appel à des entités partenaires pour des besoins spécifiques. « En tant qu’entreprise sociale, on doit regarder autour et si quelqu’un le fait, on invite le groupe qui le fait pour qu’ils viennent chez nous le faire », souligne un participant.
La bienveillance invite également à cultiver les liens au sein de la communauté, entre organismes, en étant généreux de son temps et de ses ressources. Cette approche favorise à la fois des appuis mutuels et des canaux de communications ouverts en cas de difficultés ou de crises.
Les entrevues ont aussi fait ressortir l’importance de créer des partenariats entre la francophonie et l’anglophonie, sur la base d’intérêts convergents, en expliquant aux partenaires potentiels de langue anglaise la valeur ajoutée qu’apportent les francophones : « Il faut aider les anglophones à nous aider (…) on ne leur enlève rien, on enrichit leur situation ».
Parmi les bonnes pratiques à explorer : organiser des journées de réflexion entre conseils d’administration sur des questions d’intérêt commun et ouvrir la porte à du travail de représentation commun; ouvrir la porte à de nouveaux partenaires tout en prenant soin des partenariats déjà établis, dans le respect des intérêts de chacun. Et surtout, faire preuve de diplomatie, de doigté, d’une intelligence des organisations et d’une grande habileté politique.
« On doit être capable de faire beaucoup avec peu, de porter plusieurs chapeaux. (…) Et ça prend de l’humilité pour se faire aider. »
2. Polyvalence et humilité
Dans un milieu communautaire défini par des ressources restreintes, il faut souvent remplir plusieurs rôles et effectuer plusieurs tâches au sein d’une organisation. Cette obligation de polyvalence peut être attirante : dans un organisme francophone communautaire, il est possible de toucher à tout, de grandir plus rapidement et de gérer soi-même des projets de A à Z. La satisfaction d’avoir créé une initiative et de l’avoir menée à bien est un avantage net de travailler dans un tel milieu.
Cela dit, un tel environnement de travail demande de l’organisation, de la flexibilité, ainsi qu’une capacité de modérer ses ambitions pour éviter l’épuisement professionnel. En entrevue, on décrit ce type de travail comme « très énergivore ». Performer, dans un tel contexte, requiert d’être généraliste et d’outiller ses employés et employées pour qu’ils et elles puissent appuyer la direction, notamment, dans le souci du détail et l’efficacité.
Au niveau du style de gestion, plusieurs prônent l’approche de Barack Obama, « leadership from behind ». Associer le personnel à la prise de décision et faire des employés et employées les porte-étendards d’une initiative valorise ces derniers, tout en allégeant le poids des responsabilités sur les épaules de la direction. D’autre part, on recommande une approche humble, fondée sur l’écoute; la flexibilité, la sensibilité et l’ouverture plutôt que la rigidité ou une volonté de dicter des façons de faire – particulièrement pour les directions qui proviennent d’ailleurs, comme le Québec.
Travailler dans un organisme francophone en milieu minoritaire signifie aussi prendre des décisions rapidement. À ce chapitre, les personnes interviewées recommandent aux dirigeants et dirigeantes de se donner le droit à l’erreur, de ne pas chercher à être parfait ou parfaite, et d’accepter le risque de prendre parfois de mauvaises décisions.
Enfin, si on décide de faire le saut et d’aller travailler en francophonie, il faut le faire pour les bonnes raisons – non pas pour un objectif personnel mais en ayant à cœur le bien de la communauté et la cause qu’on s’engage à défendre.
« Si la façon de faire est trop agressive, alors la majorité n’y adhère pas. Il faut apprendre à composer avec la majorité. Il faut savoir lire l’environnement politique pour pouvoir jouer les bonnes cartes et utiliser le bon ton au bon moment. »
3. Diplomatie et sens politique
Les gestionnaires d’entités francophones en milieu minoritaire sont appelés à effectuer un travail de démarchage politique et gouvernemental, ce qui laisse moins de temps pour la gestion des affaires courantes. Cultiver un réseau et se faire connaitre facilite ce travail essentiel de recherche de subventions.
Cultiver un réseau prend toutefois beaucoup d’efforts. Il faut être ferme dans les demandes qu’on fait et être préparé à répéter les mêmes messages à de nouveaux interlocuteurs lorsqu’il y a changement de personnel. Il faut aussi faire preuve de conviction pour expliquer à des décideurs ou décideuses politiques, très souvent de langue anglaise, l’importance du rôle des organismes francophones et le bien-fondé de financer leur travail et leurs projets. Cela implique aussi une capacité d’établir des liens de confiance avec une variété d’interlocuteurs et d’interlocutrices, ainsi qu’une bonne compréhension des enjeux dans une perspective 360 degrés : amener, par exemple, les interlocuteurs gouvernementaux à comprendre la situation spécifique de la minorité et le fait que les organismes soient l’outil dont disposent les francophones pour se faire entendre par les instances décisionnelles. Il faut aussi pouvoir illustrer, pour ces vis-à-vis, des scénarios concrets des défis de la vie en contexte minoritaire. Comme l’indique une personne interviewée dans le domaine de la santé : « Comment faire comprendre qu’un service en français dans un système hospitalier soit vital pour quelqu’un en choc nerveux par exemple, ou une personne âgée dont la seule langue est le français? »
Les directions d’organismes doivent aussi avoir une bonne capacité de faire un travail de représentation et de promotion d’intérêts. Plus une communauté est de petite taille, plus son avenir dépend des droits constitutionnels et législatifs dont elle dispose : dans cette situation, l’acuité politique, savoir à qui parler et qui sensibiliser, comment atteindre les leaders politiques et quoi leur dire, devient encore plus nécessaire.
Au niveau du démarchage politique, on insiste également sur l’importance d’assurer une présence auprès du palier municipal, de montrer de l’ouverture aux opportunités tout en gardant conscience des défis au niveau macro et de savoir s’adapter aux changements de gouvernement.
Les relations politiques et partenariales sont aussi une occasion de représenter – avec respect et tact - les valeurs de l’organisme qu’on représente, que ce soit en parlant français ou en insistant respectueusement pour recevoir de l’information en français.
L’acuité politique comme compétence-clé s’applique aussi au double mandat qui consiste à gérer l’organisation et de travailler avec un conseil d’administration tout en connectant avec la communauté. Il faut aussi savoir que dans une communauté de petite taille, les médias locaux peuvent suivre de façon plus pointue ce qui se passe dans l’organisme francophone.
Il faut, enfin, toujours se rappeler que les organismes francophones travaillent souvent avec des bénévoles, desquels on ne peut pas exiger les mêmes échéances ou la même vitesse de production que du personnel salarié d’où, encore une fois, l’importance de faire preuve de tact et de diplomatie.
« Plus on est diversifié, plus on rayonne dans un plus grand nombre de communauté. »
4. Ouverture et inclusion
La francophonie a beaucoup changé au cours des dernières décennies et cela a un impact sur la manière dont les dirigeants et dirigeantes d’organismes francophones en situation minoritaire effectuent leur travail.
Les organismes sont de plus en plus conscients du fait que le public qu’ils desservent est composé d’individus qui viennent d’univers différents et qu’il importe de représenter et servir toutes les populations francophones. À cet égard, une personne interviewée a affirmé que son centre communautaire, en Ontario, dessert des francophones provenant de 72 pays. Une autre a estimé que certaines institutions scolaires comptent jusqu’à 30 nationalités parmi le personnel enseignant et administratif.
« Il faut sortir de l’esprit passéiste et entrer dans la modernité. L’immigration est un élément clé de la francophonie. »
Il est donc plus que souhaitable que l’organisme s’adapte au point de vue de la gouvernance ainsi que des discours. À cet égard, des conseils d’administration ont modifié leurs pratiques pour devenir accessibles à une plus grande variété de profils. Reconnaissant, par exemple, que des rencontres du 19 h à 22 h attirent plus facilement des personnes ayant un emploi stable de jour et un revenu plus élevé, un CA a entrepris de mettre en place des « soutiens invisibles », comme le défraiement des coûts de transport en taxi, pour faciliter la participation de personnes aux revenus plus faibles. La même réflexion sur l’accessibilité se fait quant à l’inclusion de personnes vivant avec des enjeux de santé mentale, les personnes travaillant de nuit, etc.
Le même souci d’inclusion doit s’étendre également au personnel, surtout à un moment où l’embauche internationale et issue de l’immigration est un moyen de contrer la pénurie de main-d’œuvre. Nous avons entendu, lors des entrevues, que plus une équipe est diversifiée, plus elle est performante et plus les résultats du travail d’équipe permettront de répondre aux besoins d’une communauté multiple.
Cette ouverture à la diversité des origines mais aussi des compétences et des points de vue protège les organismes contre un repli sur eux-mêmes et contre le syndrome des TLM (« toujours les mêmes »).
Ce besoin de décloisonnement se vit aussi au niveau des manières d’identifier les personnes selon leur relation à la langue française. Dans les entrevues, nous avons entendu l’importance d’aller au-delà des étiquettes comme « francophone » ou « francophile » pour rassembler plutôt une seule communauté francophone où tout le monde se sent inclus. Au niveau des définitions, plusieurs s’entendent pour dire qu’en 2022, le ou la francophone est une personne qui utilise la langue française plutôt que quelqu’un ayant le français comme langue maternelle.
D’ailleurs, plusieurs jeunes se disent maintenant bilingues plutôt que francophones et ne se reconnaissent pas nécessairement dans les modèles traditionnels de la francophonie. Être bilingue est désormais une identité canadienne et faire en sorte que ces jeunes aient une place au sein de la communauté mais aussi des organismes est un défi. En entrevue, une personne a déclaré : « Si le seul conseil que les jeunes entendent c’est go, prends ta place, ça n’aide pas. Il faut aller vers eux et leur créer une place ». Cela revient à l’idée de mettre en place des mesures d’adaptation pour inciter une plus grande diversité de profils à s’impliquer.
Pour ce qui est des personnes issues de l’immigration, un grand nombre d’entre elle parlent également plusieurs langues et le français est souvent une langue seconde pour elles. Si elles ont une affinité avec la francophonie, elle est d’abord culturelle et linguistique. C’est par le biais d’échanges culturels et des activités de vivre ensemble qu’elles s’engageront bien souvent dans les communautés francophones en situation minoritaires et s’impliqueront dans les organismes communautaires, culturels, de bienfaisance, etc.
En outre, pour les personnes interviewées, élargir, diversifier, ouvrir à une population plus variée et à des points de vue opposés peut créer un milieu moins confortable, mais beaucoup plus enrichissant.
5. Flexibilité, adaptation et créativité
En contexte minoritaire, il faut constamment revoir sa recette et s’adapter : au personnel, aux bailleurs de fonds, aux besoins de la communauté qui évoluent, etc. Être gestionnaire d’un organisme francophone veut dire accepter d’évoluer dans un contexte de changement constant et être confortable dans un tel environnement. En revanche, c’est un milieu idéal pour les individus qui ne craignent pas de sortir des sentiers battus ou de faire preuve de créativité. Voici quelques-uns des facteurs qui expliquent cet état de fait.
« L’adaptation, on doit être le reflet de ce que les gens vivent. »
Notre caractère unique : Plusieurs communautés francophones sont de petite taille et pour cette raison, il faut avoir recours à l’innovation pour assurer la pérennité de la collectivité. Une des personnes interviewées a affirmé que « penser de façon majoritaire, c’est être prisonnier de notre géographie ». Autrement dit, les modèles qui fonctionnent pour la population de langue anglaise ne peuvent s’appliquer à la minorité, dont la situation est différente. Par exemple, en éducation postsecondaire, les cours à distance permettent de desservir les communautés de petite taille. Travailler au-delà des modèles traditionnels et des frontières, penser autrement, développer des approches novatrices, demande du leadership et de la créativité.
Les différences générationnelles : Les générations plus jeunes entrent sur le marché du travail avec des idées et des attentes différentes en matière d’emploi et d’engagement citoyen. En conséquence, la gestion intergénérationnelle en milieu de travail peut être un défi. Pour certains, les jeunes n’ont pas le même sentiment d’urgence ou réflexe de militantisme par rapport au français. Cependant, du point de vue des jeunes, l’engagement et l’identité sont souvent des enjeux intersectionnels où la francophonie recoupe la justice sociale, la diversité, l’environnement, la réconciliation avec les peuples autochtones, le féminisme ou les questions 2SLGBTQIA+. Par ailleurs, plusieurs préfèrent des milieux organisés sur le modèle de la collaboration plutôt que de la hiérarchie et valorisent la flexibilité et un sain équilibre travail/vie personnelle.
À cet égard, certaines personnes interviewées ont fait valoir que si les salaires demeurent non compétitifs en milieu minoritaire, plusieurs organismes se sont adaptés pour offrir des conditions de travail attirantes : horaire flexible, self-care, pause payée de 30 minutes pour faire de la marche ou du vélo, sondages de satisfaction auprès des membres du personnel, bonis, tirages de produits locaux, etc.
La gestion axée sur les résultats a aussi incité les gestionnaires à mettre moins d’accent sur les processus et les heures de travail et davantage sur les résultats atteints. Cela permet, en matière de flexibilité d’horaire, d’avoir le réflexe de « dire oui sauf s’il y a une bonne raison de dire non ». Cette approche résulte en des employés autonomes, capables de penser par eux-mêmes et de contribuer à leur rythme.
Les caractéristiques sociales de la population : En francophonie, il faut tenir compte à la fois du vieillissement de la population, de son statut socio-économique et du taux de littératie et de numératie qui, à plusieurs endroits, demeure un problème. Les trois éléments ne sont pas toujours interreliés, mais il reste que plusieurs francophones peuvent avoir du mal à comprendre ce qu’ils lisent en français ou encore à s’adapter aux nouvelles technologies ou au virtuel. Cela pose un défi, par exemple, au niveau de l’accès aux services, et peut exiger des organismes qu’ils communiquent ou offrent des services selon plusieurs modes à la fois pour rejoindre différents segments de la population.
« L’adaptation linguistique est secondaire, c’est l’adaptation culturelle en fin de compte qui est la plus importante. »
La pluralité francophone : Comme nous en avons fait état plus haut, les organismes francophones évoluent au sein d’une population de langue française plus diversifiée. L’adaptation requise est tout d’abord au chapitre des valeurs : l’ouverture à la différence, aux nouvelles idées, aux débats et à de nouvelles manières de percevoir le nous collectif. Autrement dit, le français ne peut être refermé sur lui-même, il doit être une façon de s’ouvrir sur le monde.
Parallèlement, la direction générale devient le point de repère pour les employés et employées issus de l’immigration. Il s’agit non pas uniquement de les appuyer professionnellement mais aussi, bien souvent, de les soutenir dans leur établissement en les orientant vers les services dont ils ont besoin dans la communauté.
Finalement, les personnes interviewées ont été généreuses en matière de suggestions pour des gestionnaires d’organismes dans un contexte changeant : retourner voir ce qui s’est faire dans le passé pour ne pas répéter des erreurs ou appliquer des solutions déjà essayées; se former, rester à la fine pointe et garder une ouverture à l’innovation, comme l’intelligence artificielle ou la télémédecine; s’inspirer du secteur privé; adopter la gestion axée sur les résultats; miser sur des fondations flexibles plutôt que rigides; privilégier l’agilité et la capacité de s’ajuster rapidement.
6. Être à l’écoute, devenir le reflet de sa communauté
Les directions d’organismes francophone en milieu minoritaire sont au service d’une communauté; pour bien servir celle-ci, il faut la comprendre, saisir comment elle fonctionne jusque dans ses dimensions multiples : par exemple, les groupes de culture canadienne-française traditionnelle et les groupes francophones issus de la diversité et, surtout, comment ces groupes se combinent au sein de la communauté.
Pour y parvenir, les gestionnaires d’organismes doivent entretenir un ancrage réel dans la communauté, y être connus et reconnus. Il faut s’entourer de gens qui représentent différentes composantes de la communauté, différents points de vue et différentes perspectives. Cette pluralité est source d’innovation et de changement et, grâce à cette attention sur la communauté, il est possible de diversifier ses sources de financement et de cogner aux bonnes portes.
Il faut aussi consulter, parler peu et écouter beaucoup, participer aux activités de la communauté et y être visible. En plus de permettre au dirigeant ou à la dirigeante d’établir un portrait bien détaillé de sa communauté, cela crée un climat de confiance qui favorise l’identification des vrais problèmes. Comme l’indiquait une personne lors des entrevues, « Une fois que le lien de confiance est établi, alors les vraies choses sortent ».
« Il faut que notre poids relatif soit plus grand que notre poids réel par notre capacité d’influence. »
7. Lobbying et leadership d’influence
Le succès d’une organisation vient de la force de l’équipe; cette force dépend de la capacité de la direction générale d’exercer son influence, de définir une vision, de rassembler, de partager sa passion et ses valeurs.
Le leadership d’influence s’étend ensuite aux relations externes et gouvernementales ainsi qu’à la recherche de financement. La capacité de représentation et de défense d’intérêts est critique dans un contexte minoritaire et requiert une force de persuasion. Plusieurs des personnes interviewées insistent sur l’importance d’y croire et de convaincre, preuves à l’appui, que ce qu’on demande fait du sens – surtout lorsqu’on s’adresse à une majorité peu familière avec les réalités de la minorité. Parallèlement, les leaders d’influence travaillent avec la communauté pour qu’elle se prévale de ses droits, par exemple, en demandant des services en français.
En termes de leadership d’influence, certains préfèrent un modèle fondé davantage sur la proposition que sur la revendication, en recherchant le point d’équilibre et en évitant la polarisation. Enfin, tant au niveau de la revendication que de la proposition, rechercher des défis et intérêts communs avec d’autres groupes minoritaires est utile en ce que cela peut créer un plus grand poids de négociation et un pouvoir de représentation accru.
Dans tous les cas, la capacité d’influence d’une personne dans un rôle de gestion d’organisme vient en partie de sa crédibilité. Il ou elle doit vivre dans sa communauté, participer à la vie quotidienne de celle-ci, nourrir de la passion et de l’enthousiasme envers la valeur ajoutée du français dans l’identité canadienne. Il ou elle doit être en mesure de communiquer la valeur et les effets positifs de l’entreprise francophone par une analyse politique qui démontre pourquoi appuyer les francophones est une proposition gagnante. Il faut devenir le raconteur ou la raconteuse en chef de son institution, partager les valeurs et féliciter les gens qui font rayonner celles-ci.
Comme l’indiquait une personne interviewée, « C’est comme des lunettes qu’on a en permanence : il faut que tout passe par le prisme de francophonie minoritaire ».
« La communauté a besoin de leaders et de penseurs et de gens qui sont moins dans les tranchées. On doit être en avant du peloton et voir les coups avant qu’ils arrivent. On n’a pas de tribunes en ce moment, ça doit passer par les faits, les études et pas seulement des opinions. Pour ensuite alimenter les revendications. »
8. Vision et excellence
Plusieurs des leaders francophones que nous avons interviewés ont mis l’accent sur l’importance de voir grand et de rêver grand, d’exercer un leadership politique fort, audacieux et ambitieux, de fixer des objectifs à long terme.
Cette impulsion de voir grand et de proposer de grands projets vient, en partie, de la concurrence des institutions et services de langue anglaise. C’est le cas, par exemple, en éducation, où les jeunes ont toujours le choix d’aller étudier en anglais s’ils le souhaitent. Cet état de fait pousse les établissements de la minorité à être à la fois « excellents et uniques ». Ainsi, les leaders en milieu scolaire sentent que les élèves des écoles francophones doivent être deux fois mieux préparés à leur sortie. En santé, un des leaders interviewés nous a confié son projet de faire de son établissement non pas seulement un des meilleurs de la communauté francophone, mais de sa province, toutes langues confondues.
« Nous sommes condamnés à l’excellence, car c’est dans l’excellence que nous allons assurer la survie, la vitalité et la pérennité de la francophonie hors Québec. »
Ce genre de leadership visionnaire requiert de pouvoir penser « à l’extérieur de la boite », de voir au-delà d’intérêts individuels et de ne pas avoir peur de déranger lorsque nécessaire.
Dans les entrevues, le portrait qui se dégage est celui d’un ou d’une leader qui sait jouer en équipe, qui possède la capacité d’amasser un grand volume d’information, de l’analyser et d’en dégager une vision claire, qui sait créer des liens avec des partenaires de toutes sortes, même en dehors de son secteur et même chez les anglophones, en se présentant comme faisant partie de la solution. Cette personne exerce aussi un leadership complètement détaché de son ambition personnelle et met l’engagement à l’égard des francophonies en contexte minoritaire au sommet de ses préoccupations, devant l’avancement de sa carrière. L’institution est plus grande que soi et doit être au cœur des préoccupations.
Bref, travailler à dans un organisme ou une institution francophone en milieu minoritaire, c’est travailler fort et travailler plus, en visant l’excellence; cela dit, l’atteinte de l’excellence permet d’établir une notoriété et une crédibilité qui bénéficie à toute la francophonie.
9. Communication et maitrise de sa langue
Travailler dans un organisme ou une institution francophone, c’est se faire l’ambassadeur ou l’ambassadrice de la langue française autant pour la communauté que l’on sert que pour les partenaires, les bailleurs de fonds et la majorité. Créer et entretenir une culture de rapport positif à la langue est extrêmement important. Plusieurs insistent sur l’importance d’afficher sa fierté de parler et d’écrire le français : devant les anglophones pour attirer le respect, dans la communauté pour inspirer et valoriser la langue.
Cela dit, dans certains cas, les francophones de la communauté servie hésitent à travailler en français parce qu’ils ressentent de l’insécurité linguistique après plusieurs années à évoluer dans des environnements anglophones. C’est particulièrement le cas dans les milieux qui accueillent beaucoup de personnel francophone provenant du Québec ou issu de l’immigration. Plusieurs communautés reconnaissent ce défi : tout en gardant une image de qualité et d’excellence en français, il est de plus en plus important de voir à créer un climat sans jugement où tous et toutes peuvent être confiants d’utiliser le français.
« Être minoritaire est comme être en aquarium, il y a tendance à se replier sur soi car c’est fatiguant de sans cesse se justifier. Doit être capable de porter plusieurs chapeaux et avoir des relations directes avec les élus et les paliers de gouvernement. C’est très frustrant l’incompréhension. »
10. Résilience et positivité
Occuper un poste de dirigeant ou de dirigeante francophone en milieu minoritaire, c’est donc faire face à une série de défis qui, sans la bonne attitude, peuvent en pousser plus d’un au découragement. En termes de développement professionnel, ce type de poste permet de développer la résilience. Les dossiers sur lesquels les gestionnaires sont appelés à travailler s’échelonnent souvent sur des années; il y a des reculs autant que des avancées et il est souvent nécessaire de répéter et refaire des démarches que l’on avait déjà effectuées. Le rôle de revendication qui est associé à cette fonction de gestion d’un organisme francophone en milieu minoritaire peut devenir épuisant, parce qu’assurer une prise en compte du fait français dans les décisions et justifier les priorités de la communauté auprès des gouvernements, des partenaires et de la société est un travail continu et sans relâche. Par ailleurs, on est souvent appelé à consacrer temps et énergie à la défense de droits et d’acquis alors qu’on préférerait travailler sur l’offre de services.
Les personnes que nous avons interviewées insistent sur l’importance de garder un esprit positif malgré les obstacles qui se présentent en cours de route et de conserver la conviction profonde qu’on arrivera à ses fins. Pour les gestionnaires d’organismes francophones en milieu minoritaire, patience et pensée stratégique sont des aptitudes absolument fondamentales, tout comme une capacité d’avancer en ne prenant rien pour acquis.
S’il est important de persévérer et de rester ferme – par exemple, en insistant pour fournir des rapports en français aux bailleurs de fonds et partenaires ou pour que les conventions collectives soient dans cette langue – plusieurs mettent l’accent également sur l’importance de célébrer les bons coups et les succès. Par exemple, il serait de mise de valoriser les entreprises qui offrent des services bilingues ou font la promotion de la francophonie. Certains font aussi remarquer qu’il est important de miser sur les atouts, le potentiel et les institutions de la communauté plutôt que de seulement rester fixés sur les torts et les injustices du passé.
En somme, les gestionnaires d’organismes francophones en milieu minoritaire doivent demeurer convaincus et convaincants par rapport à l’avenir et à la pérennité de leur communauté, malgré les difficultés auxquelles celle-ci peut faire face. Et dans tous les cas, ces individus doivent se rappeler qu’ils représentent une vision et des valeurs : l’importance des deux langues officielles du Canada.